06 mai 2018

DE LA TENUE ! (I) * : LA COMBINAISON FLEURIE


* "de vestibus", ou l'art hasardeux de ratiociner en vain, pour la bagatelle!
[ "Vaines bagatelles qu'ils semblent être, les vêtements (...) changent notre vision du monde et le point de vue du monde sur nous." - Virginia Woolf ]

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Tu sors de chez toi. Tu rases les murs. Il est 9h33, samedi. 

Tu as rendez-vous chez la coiffeuse. 
Autrement, tu serais au fond de ton lit, profondément endormie ou entre limbes et éveil, à l’écoute d’un podcast ou des errements de ta pensée dispersée; les deux options étant souvent congruentes. 

Et typiquement, quand tu as rendez-vous chez la coiffeuse tu oscilles entre deux extrêmes: l’envie de te mettre sur ton trente-et-un (anticipation d’une coiffure que tu espères réussie) et celle d’escamoter la partie supérieure de ton anatomie. 

En gros, ce jour-là, tu t’affubles d’un couvre-chef et de ta tenue préférée du moment.

Ton accoutrement est original, c’est le moins que l’on puisse dire.

Et plus original encore: voilà deux jours que tu stresses, à l’idée d’avoir l’air ridicule, d’en faire trop, ce qui est un comble pour qui a sans cesse la conviction de ne pas en faire assez...

Aujourd’hui, c'est chapeau melon et tu t’es glissée dans une combinaison à la fois moulante et évasée. Longueur midi, col chemise que tu as longtemps hésité à boutonner entièrement mais que tu as ouvert sur un coup de tête il y a deux semaines, la première fois que tu l’as portée. Elle habille ton dressing depuis quatre mois déjà, ta combi, et c’est la deuxième fois que tu la mets. Il faut dire qu'elle est couverte de fleurs; un imprimé kimono pas très discret. Et en bas, ce sera Converse pour confirmer le parti-pris japonisant.




Pause.

D'emblée, tu penches pour le quolibet et dégaines sans tarder le classique resting bitch face; moue dédaigneuse et regard faussement indifférent.

« Superbe! »

ajoute-t-on, comme pour lever toute ambiguïté.

Sans la moindre transition, tu sens la vexation poindre. 
Vexée que l’on complimente cette tenue pétrie d'heureux hasards, alors que d’ordinaire tes toilettes les plus maîtrisées te semblent passer inaperçues. 


Pour finir, le regret t’étreint, à mesure que les regards appuyés et approbateurs se multiplient : cette œuvre d’art que tu portes, apparemment, est de fait éphémère; amenée à être tronquée une fois que ta coiffeuse aura remis un peu d’ordre dans ta tête. Ton chapeau, clé de voûte de cet heureux carambolage textile, devra hélas, dans quelques minutes, tirer sa révérence.


Alors, tu poursuis ton chemin, en te disant que tu aurais tout de même pu le remercier, ce monsieur, mué sur ce passage piéton et à son insu, en critique de mode sentencieux.

Tu apprendras quelques minutes plus tard, que la coiffeuse est en retard et que ton exploit connaîtra un sursit inespéré...


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