17 juin 2013

CRACK TV


On en a tous marre des Kardashian, non ? J’évoquais d’ailleurs Kim dans un article précédent, consacré à son baby daddy, Kanye.  Mais oui, je suis sûre que vous aussi vous en avez marre de ce manque de talent érigé en talent en soi, de leurs têtes qui grossissent à vue d’œil, des chevilles et des lèvres qui vont avec. D’ailleurs, leur émission « Keeping up with the Kardashians », censée nous embarquer dans le quotidien superficiel de leurs existences hollywoodiennes n’est plus qu’un interminable spot de pub de trois quarts d’heure à la gloire de cette famille sortie de nulle part. Et puis, non contentes d’avoir réussi le casse médiatique du siècle et de truster tous nos écrans, elles se sont mises à réclamer cette chose si désuète en 2013 et qu’on nommait jadis « intimité ». Le mauvais goût atteint des sommets !

Alors, oui, mes amies me diront: « Mais je croyais que tu aimais bien Kim K? » « Mais t'as des photos d'elle et Kanye sur Pinterest, non? » « Mais tu regardais pas son émission, l'année dernière? » « Et toutes ces conversations stériles sur la quadrature du demi cercle fessier de Kim K? » « Mais c'est pas toi qui hurlais de joie à l'annonce de sa 'romance inattendue et pourtant tellement évidente' avec Yeezy? ». Franchement, les filles, vos gueules! (oui, on se parle comme ça avec mes amies, pas vous?) 

Bref.

Nous nous éloignons du sujet, non?

Kim et ses sœurs donc. Je ne suis pas la seule à avoir été fascinée. Kim était la nouvelle Paris, voyez-vous. Paris, c'était la blonde écervelée. Kim fut la brune, fessue et orientale (le mot clé n'étant pas « fessue »). Kim apportait quelque chose de nouveau, du jamais vu: une famille arménienne mais typiquement américaine. Contraste. C'est vendeur. Des mœurs exotiques. C'est racoleur. C'est ce que demande le téléspectateur en gros. De neuf avec du vieux.

Il suffirait en somme de recycler les vieux formats qui marchent et d'y ajouter une touche de nouveauté et un soupçon d'irrévérence, sans oublier la dose réglementaire de clichés. Et celui qui a inventé la crack TV a tout compris. La Crack TV, c’est l’exotisme par excellence : elle vous emmènera là où vous n’êtes jamais allés (même moi je n’y suis pas allée, alors c’est dire !)

La crack TV c’est donc la télé réalité Made in ATL. Mais dites-moi, vous semblez ignorer ce qu'est ATL… ATLanta, la capitale noire des États-Unis, bien sûr! On y trouve la crème de jet set afro américaine. La capitale du Dirty South, du Crunk, de CNN, Coca Cola et maintenant de la crack TV  c'est Atlanta.
Dans la crack TV, les valeurs sont inversées : les héros sont  tous – à quelques exceptions près – noirs.

La crack TV joue sur les bons vieux clichés de l'Amérique blanche. Elle vous invitera dans l'intimité (la fameuse!)  grossièrement scénarisée de la fine fleur de la communauté noire américaine. force est de constater, au gré des épisodes, qu'un Noir, aisé tient sa fortune d'un ballon de basket ou d'une note bien placée sur un single qui s’est bien vendu. Bon, j’exagère un peu : il y a aussi les médecins et femmes de médecins de « Married to Medecine ».


« Trust no bitch »

Qu’on soit femme de basketteur, de rappeur ou de médecin réputé, dans, la Crack TV,  la violence n'est jamais loin. On fait comme au quartier : les différends se règlent avec les poings, les ongles, les cheveux ou les pieds mais l’arme de prédilection sera le verre de Patrone jeté à la figure avec un temps de réaction record, avoisinant celui d’un lama en colère, la salive en moins. Quoique…

"Married to Medicine", saison 1


C’est d’ailleurs l’un des attraits du genre : les batailles sont épiques et mémorables. Pas un épisode sans une rixe si violente qu’on la croirait minutieusement chorégraphiée. La femme noire a un rôle peu flatteur à y tenir : en colère, elle se déchaine sur ses rivales sans retenue. Les poings prennent vite le relais des mots qui, quoi qu’il en soit, ne sont que des déclinaisons d’un bestiaire bien connu des amateurs de rap.

"Love and Hip Hop", saison 1
"Basketball Wives", saison 4


« God. Family. Hustle. In that order »
L'homme, lui, a un rang à tenir et des valeurs à défendre: la mentalité de la rue est transposée dans les quartiers chics de New York, Atlanta donc ou encore Chicago. Le protagoniste aura quitté le ghetto (Madeleine de Proust qu’il évoquera à tout propos) grâce à sa pratique assidue et quasi fanatique du « hustle » (l’art – pas toujours légal – de la débrouille), il aura mis sa famille à l'abri. Tenez, T.I. ("T.I. and Tiny, The Family Hustle") le répètera à l’envi.

"T.I. and Tiny, The Family Hustle", saison 1


Les totems de la réussite seront exhibés sans retenue ni pudeur. Tamar Braxton (la sœur de Toni, "The Braxton Family Values") ne voyage qu’en jet privé et elle veut que vous le sachiez. Kandy Burruss ("The Real Housewives of Atlanta"), à qui l’on doit de nombreux titres des Destiny’s Child, vit dans un manoir et elle veut que vous le sachiez. Le bling scintille plus qu’ailleurs. Le luxe se fait plus tapageur. On a réussi , il est temps que ça se sache.


Aussi, le synopsis ne varie pas beaucoup. Il dépeint un rêve américain un peu distordu et colle à la réalité socio-économique d’une partie de la communauté noire: une bitch plutôt bien foutue (nommée LaQuinda, Latoya ou ShiQuanna) entretient une relation tumultueuse avec son boo, qui l’a sortie de l’enfer du hood et en a fait sa baby momma (il ya très peu de mariages dans en crack TV comme dans nombre de familles noires américaines – l’union se scelle par la naissance d’un enfant). Les mêmes clichés se déclinent d’épisode en épisode, l’exception devenant la règle. Mais ils vous sont tellement étrangers qu’ils en seront rafraîchissants.
"Black and proud"
La crack TV célèbre donc sans complexe, tous les travers d'une Amérique noire longtemps méprisée. La crack TV vous offrira aussi, vous avez pu le constater, une belle occasion de prendre une leçon de linguistique urbaine. La langue qu’on y parle fleure bon Harlem, NY ou encore Bankhead Hwy, ATL. Un léger temps d’ajustement sera nécessaire mais, croyez-moi, à raison d’une heure de Crack TV hebdomadaire, le temps d’une saison, vous aurez le sentiment de maîtriser l’Ebonics (Comment ça ? Vous ne savez pas ce que c’est ? Vous exagérez ! Faîtes des recherches !).
On voit enfin son identité représentée à la télé, cliché ou pas. On se reconnaît. On jubile. Enfin de la variété ! Vous ne vous sentez pas concernés ? L’humour et les mimiques qui l’accompagnent vous séduiront sans doute si vous n’en êtes pas familier.

"We took that shit, measured it and then cooked that shit"
C’est donc ça la crack TV : la téléréalité des Noirs, par les Noirs, pour tout le monde, un genre rare dans la télé mainstream jusqu’alors. Mais pourquoi « crack ». Le terme m’est venu un soir, alors que j’enchainais frénétiquement les épisodes de « Love and Hip Hop ATL », et plus précisément celui au cours duquel le truculent Stevie J rompit avec Joseline par respect pour sa baby momma, mais se ravisa vite lorsqu’il prit conscience du fait qu’il ne venait pas juste de rompre avec Joslene mais qu’il venait de couper tout lien avec les parties les plus intimes de la généreuse anatomie de l’ex strip-teaseuse portoricaine. Alors que fit Seevie J ? Pris de remord, il se rendit chez sa protégée, manteau de fourrure à la main pour se faire pardonner et de mon côté je dépassai toutes les limites que je m'étais fixées et lâchai ce tweet :

Je réalisais  bien qu’en souscrivant à un tel phénomène je touchais le fond. C’était mauvais et je le savais. C’était mauvais et c’était justement pour ça que je persistais. C’était du crack télévisé, un truc inventé par les Blancs, coupé et cuisiné par les Noirs et vendu à ceux à qui il n’était pas vraiment destiné. Du crack, comme le hip hop que Kanye et sa clique – dont le mot préféré est pourtant « racism » - vend par millions à un public blanc en mal de sensations et qu’il nomme lui-même « crack music ». La crack TV exploite les préjugés et les travers de l’Amérique blanche. C’est l’Amérique noire qui semble se moquer d’elle-même mais qui se gausse aussi des raccourcis simplistes de sa consœur blanche. C’est l’histoire d’une récidive ; vous savez la fameuse histoire du Nègre qui se courbe et ramasse le mot qui lui est jeté à la figure, se l’approprie et le brandit fièrement. Crack TV, c’est aussi ça : ça fait mal, c’est si bon et c’est addictif. Saurez-vous seulement y résister ? Aurez-vous vraiment le courage de commencer?

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