17 août 2017

UN DIMANCHE À DAKAR





C'est ville morte. 

Le ratio locaux / expats est à son plus bas. Les trottoirs, débarrassés de leur 4x4 et autres berlines rutilantes affublés de chauffeurs en livrée patients et réactifs aux moindres caprices de leurs passagers, sont redevenues praticables. Les gestes sont lents et le ballet des voitures reduit à son minimum. 
Seuls les vigiles maintiennent un semblant de normalité: armes et détecteurs de métaux aux faux airs de matraques en main, ils montent la garde et affichent des mines patibulaires surjouées. 

On entre à Casino, que l'on appellera éternellement Score et dont les rayons sont rangés avec une rigueur soviétique qui fait froid dans le dos en même temps qu'elle rassure. On se demande encore ce que font ces filles, t-shirt bleu au dos, debout entre les rayons et prêtes à servir, rompant avec la tradition de l'impersonnalité qui fait loi dans le Casino du coin, quelque part en France. Idem pour ces garçons, affublés de t-shirts verts, qui emballent et portent à la caisse.

On sort, en veillant à anticiper le choc thermique imposé par l'omniprésence de la climatisation. On ne sait que préférer: l'authentique chaleur qui enveloppe les corps d'une moiteur douillette ou l'âpreté de l'air artificiel qui offre quelques instants de répit.

Le ratio véhicule particulier / taxi quant à lui demeure en faveur des derniers, dont les piallements incessants signalent aux alentours les potentiels clients, leur signifiant au passage qu'ils ne sont pas censés déambuler ici insouciamment et les renvoyant ainsi à leur rang, réel ou imaginé. Racolage actif, cautionné par une rue complice, feignant l'indifférence, et dont les regards appuyés  deviennent vite furtifs. 


La place de l'indépendance confirme le caractère sacré de cette journée. Vendeurs ambulants et prospecteurs en tout genre ont déserté les lieux et un calme semblant précaire règne sur le talus bordé de trottoirs où dégoulinent ça et la les climatisations en surchauffe.

On aborde le Palais Présidentiel. Un chemin jadis parcouru avec une normalité qui nous paraît désormais incompréhensible. La garde veille, armes au poing et œil aux aguets. On lâche, avec l'inconscience affectée du touriste "Je pense que je vais prendre une vidéo". Une ombre longiligne bleu marine coiffée d'un béret rouge rétorque, cinglant et sans facétie, une phrase simple et pourtant empreinte d'une certaine fantaisie: "C'est interdit". Le palais du peuple (ancien emblème colonial) réinvesti pour que ce dernier y voie le symbole d'une identité nationale longtemps bafouée se refuserait donc aux appareils photos et caméras admiratives de son immaculée blancheur, certainement préservée aux dépens de celle des façades alentour. 

On avance.

On se restaure et décrète sans nulle hésitation qu'ici le pain au chocolat (Ah? Chocolatine? Passons) a un goût de vrai, qu'on avait presqu'oublié: le feuilleté de la pâte cède sous les doigts pressés et la garniture aux arômes authentiques s'y infiltre généreusement, imprégnant papilles et phalanges une partie de la matinée. Sur ces constations gustatives qui se répéteront à maintes occasions et pour divers mets, le parcours se poursuit à bon train.


On perçoit au loin un bâtiment jaune et une porte noire en fer forgé laqué. Celle que l'on franchissait tous les matins avec le sentiment du devoir à accomplir. Celle qu'ont franchie des générations de toutes origines aux carrières et aux personnalités toutes pus remarquables les unes que les autres. Celle de l'Institution Sainte Jeanne d'Arc, qui cache sous des dehors plutôt austères un microcosme à la synergie difficilement reproductible sous d'autres latitudes et en d'autres contextes. Un bien charmant syncrétisme. Celle derrière laquelle on cohabite, en bonne intelligence, dans une atmosphere de franche (et parfois rude) camaraderie, sous le regard sévère mais bienveillant d'une mère supérieure faisant figure de légende aux yeux de ses ouailles plus ou moins rétives à l'autorité. On appelle cela "vivre ensemble", paraît-il, mais tout cela se faisait si naturellement de l'autre côté de cette porte...


Alors, ce dimanche à Dakar prend des airs de pèlerinage en enfance: du marché Kermel, qui a quelque peu perdu de sa superbe mais dont le passé majestueux se devine à la courbe parfaite de son arche à l'horloge anachronique, à la Place de l'indépendance dont on foule les gravillons avec l'entrain d'antan.

Dakar, un dimanche comme les autres. Ou presque. Ce qui devait être changé n'ayant (sic) été changé. Ou l'inverse.

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