(source: Google)
Vendredi soir. Semaine éreintante. On a beaucoup travaillé. Enfin, Plume de boa, surtout. Besoin de détente, d'insouciance. On sort. Rassemblement général sur la place du héros des deux mondes. On s'attable. On troque les dernières nouvelles: "Tu sais quoi?" "Ah ouais? C'est vrai?" "Noooon?!" Rituel immuable des soirs de fin de semaine. Le weekend nous appartient. Il paraît long alors qu'il est déjà bien entamé.
L'oreille et la bouche s'activent, donc. Les yeux, eux, s'écarquillent, roulent ou se plissent au gré des sujets abordés. Et puis parfois, ils perdent le fil, s'égarent dans la foule des passants, ballet incessant et comme chorégraphié avec une rigueur déconcertante.
Les silhouettes qui passent offrent un spectacle exquis pour les voyeurs des terrasses. Les tenues qu'elles arborent renseignent sur les derniers caprices de la mode et les reliques de tendances qu'on n'arrive décidément pas à regretter. Chaque être qui passe décline son identité; chaque accessoire raconte une histoire.
Il y a cette fille qui fait des allers-retours entre sa table, peuplée de hipsters juvéniles, et le comptoir du café. Elle doit être fière de sa tenue. Elle a de quoi. Ou alors simple envie de se soulager. On ne saura jamais. C'est sa tenue qui nous fascine. Sa jupe oxblood (une saison de retard) est longue et fendue sur le côté. Sa jupe dit "Je ne suis pas comme les autres filles, je n'exhibe pas mes jambes. Je les laisse deviner". Petite maligne. Son pull poilu un brin oversize est subtilement brillant et agrémenté d'un collier de col coloré. Ses cheveux sont négligemment lâchés, sans coupe, mais avec un léger dégradé de blond jusqu'aux pointes. Verre à la main, elle avance, sûre de son fait. Démarche chaloupée. Raccord avec la tenue. Elle ne s'est pas ratée.
Des Vans partout. Des planches de skate en pagaille, à nous couper l'envie de réaliser notre vieux rêve d'enfant. Encore du tie and dye dans les chevelures. Orange County a du souci à se faire. On se banalise en voulant se singulariser. Des pantalons sur les chevilles, aussi. Des débardeurs qui révèlent la lingerie. L'été s'achève mais on s'y accroche encore.
Ah. Une anomalie. Un truc pas banal. On aimerait que ce soit dans le bon sens du terme. On est bienveillantes, dans le fond. Coupe courte, asymétrique. Blond trop propre. Jaune? Jaune. Teint artificiel. Orange. Créoles jaunes. Cohérence chromatique, certes. On ne s'affole pas... Top jaune. Ça devient inquiétant. Veste en jean pour calmer le jeu. Bien joué. Jupe courte. Blanche. A volants. On est circonspectes. Le regard se ride. Compensées jaunes, pour finir. On finit lessivées quand les yeux ont achevé leur parcours haut en couleurs. On ne sait que dire. On salue l'effort. Une petite gorgée. On passe à la suite.
Une jeune homme passe. Enfin, un garçon à moustache. Pas commun. On lui consacrera quelques minutes à celui-ci. Long, il a opté pour un pull trop grand pour lui. Une pièce étrange, qu'on croirait tricotée avec amour par sa grand-mère zélée, mais qu'il aura déterré d'un tas de fripes dans une échoppe vintage de la vieille ville. Patchwork improbable, lanières de pilou assemblées à la verticale. Du rouge, orange, bleu et un peu de jaune. En dessous, un pantalon loose, un boyfriend qu'il aura piqué à sa petite amie et qu'il aura retroussé sur ses chevilles fines, avant d'enfiler des godillots râpés qu'il aurait aimé trouer... Mais il n'a pas osé. Il erre, comme sa tenue l'indique. Erre, puis s'insère dans une troupe de hipsters (encore!) qui n'ont franchement pas son niveau. Il nous a fait rêver. On l'applaudit du regard: nos têtes se synchronisent et esquissent d'élégants arcs de cercle silencieux à son passage. On le remercie. Instant de grâce inattendu. Chapeau, l'artiste!
Le rideau tombe. Il faut aller twister.
C'est ainsi qu'un soir de semaine, on accueille le weekend, comme s'il était long et interminable, comme si ces moments insignifiants étaient indispensables, comme si ces minutes de contemplation oisive devaient durer toujours....
La suite au prochain épisode...
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