02 novembre 2017

LE CAS CARDI B


Je vous préviens: Nicki serait dans tous ses états.


Et il parait même qu'Azealia est au bord de la crise de nerfs et qu'elle crie au complot. Très original.

La preuve:

Elle qui a été aperçue dansant avec une conviction sans équivoque sur « Bodak Yellow ».


Elle qui n’a de cesse que d’exploiter l’esthétique justement incarnée par Cardi.
Sauf que Cardi ne fait pas semblant. 



On aime bien Azealia par ici, mais on doit dire que c'est moche. Très moche d'être jalouse.


Mais, d'abord, qui est Cardi au juste ?


Cardi parce que le surnom de sa sœur est Hennessy, alors Cardi a surenchéri : Cardi pour « Bacardi ». Vous voyez le genre...
Et le B? Eh bien, vous en ferez ce que vous voudrez, même si j'ai bien une idée. Mais non, voyons! Le véritable prénom de Cardi est Belcalis. Vous avez les idées mal tournées!
Bref.
Cardi est à Nicki ce que le Bacardi est au Hennessy
(faute d’avoir goûté à ces deux élixirs, je vous laisse juger de la pertinence de l’analogie).
A la carrière rigoureusement cartographiée de Minaj, Cardi oppose un récit fait de faux départs, de détours et de quelques savoureux "sens interdits", qui nous laissent :
1) admiratifs face à une telle opiniâtreté dénuée d’orgueil et de cynisme.
2) perplexes quant au fait que le parcours de la Minaj soit érigé en norme à l’aune de laquelle on juge de la respectabilité ou non d'une carrière dans le hip hop féminin d'aujourd'hui… Etrange.

Revenons au récit.
Cardi en a des choses à raconter.
D’abord la fable classique de l’enfance désoeuvrée dans un quartier difficile (Bronx), entre traditions caribéennes (Trinidad), culture dominicaine et petits boulots formateurs mais surtout nécessaires. Puis une fin de trajectoire fulgurante et inédite dans cette frange ténue du hip hop qui a le privilège d'accéder au mainstream : de strip-teaseuse à rappeuse.

La figure de la strip-teaseuse a pourtant toujours habité l'imaginaire hip hop et ses sous-genres, par ses caméos réguliers, au cours desquels ses admirables talents de danseuse ainsi que son indéniable esprit d’entreprise (avouez!) sont régulièrement célébrés en paroles et en actes.
Nicki n'y a pas échappé et Beyoncé non plus d'ailleurs.

Cependant, pour les amateurs de scripted reality noire (dont je suis ; ce n’est plus un secret), le strip et le hip se conjuguent à merveille.
La stripeuse n’était jusqu'alors qu’une vague évocation, que Cardi, par l’entremise de Nina Scott-Young (productrice de « Love and Hip Hop ») a métamorphosée en nouvel archétype du genre. Joseline Hernandez (à qui je faisais allusion ici), avait bien contribué à normaliser la profession. Mais Cardi a fait mieux : voler la vedette aux rappeurs auxquels elle n’était censée servir que de faire-valoir, sous les spots blafards des clubs réservés à ces messieurs ou sous les projecteurs blasés des plateaux de tournage où les stéréotypes façonnés par un système patriarcal tout puissant sont mis en lumière et reproduits sans scrupule depuis que le hip hop est hip hop… ou plutôt depuis qu’il est hip (ici, comprendre mainstream).

Cardi, c’est d 'abord un compte Instagram un peu pathétique, des tentatives maladroites de percer dans le milieu. Puis un tour grotesque fut donné bien malgré elle à son obstination: un trait forcé, une dose quasi létale d’autodérision, assortie d'une diction improbable, de facéties langagières dont l'illustre "Wasshhhpoppin' " et d'un jargon donnant lieu à des citations toutes plus hilarantes les unes que les autres (voir ci-dessous). Cardi, qui claque les lèvres et tire la langue à tout propos, comme pour narguer ceux dont l'intérêt n'était au départ mû que par la raillerie, s’est construit un personnage irresistiblement attachant et a su ériger ses défauts (notamment dentaires) en armes de succès massif.
Elle s'est aussi empressée de les faire corriger une fois la gloire conquise; mais ça, c'est une autre histoire.

[Attention! Ne visionnez la vidéo suivante que si vous vous sentez parfaitement armé mentalement et si vous vous sentez capable de percevoir le second degré au ras des pâquerettes]


Quoi qu'on en pense, quatre BET Awards et plusieurs numéros 1 au Billboard plus tard, au-delà du succès matériel, c’est avant tout le respect qu’inspire le parcours de Cardi  : il s'agit bien là d'un cas caractérisé de « glow up » ou comment rebattre les cartes qui nous ont été distribuées pour parvenir à l’accomplissement de soi, quels que soient les obstacles rencontrés.

En espérant que ça dure.
(Pour nos oreilles, on est moins sûres...)

D’aucuns douteraient de la subtilité intellectuelle d’une Cardi. Je serais prête à parier sur la rapidité de certains à condamner un tel vide artistique, tombant dans le piège tendu par une Cardi qui ne se prend sans doute pas très au sérieux. Mais je demeure aussi convaincue qu'elle a, à sa façon, illustré le concept de résilience de manière bien originale et en témoigne de la façon la plus simpliste (et néanmoins la plus rafraichissante) qui soit, dans ses paroles :
« I don’t dance now. I make money moves. Said I don’t gotta dance I make money move”.

D'où le succès.
En reprenant le thème du self-made man prisé par ses clients et désormais confrères Cardi lui donne des accents de féminisme qu’on ne voudrait pas qualifier de « divergent » mais qui offre en tout cas une alternative salutaire aux poncifs du genre,: ils exhalent de nos jours, il faut le dire, des effluves de naphtaline...

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 “If a girl have beef with me, she gon’ have beef with me forever.”
("si une fille me cherche des poux, alors qu'elle se prépare à me chercher des poux à vie") 
(pas faux)

 “I’m sorry I ain’t proper and shit. My hair proper though.”

("désolée, chuis grave pas comme il faut. Mais mes cheveux, si!")

“When you put my shhmoney on jeopardy, now we got a problem.”
("si tu menaces ma thuuuuuune, alors on a un problème")

“I’m just a regular degular shmegular girl from the Bronx.”
("chuis juste une meuf de base, à la base, de base, du Bronx")

“B**** I’m a human just like you. I like chicken with BBQ sauce just like you.”
("meuf, chuis humaine, comme toi: j'aime manger mon poulet avec de la sauce barbecue. Comme toi, quoi!")

“If I were elected President of the United States, I would allow food stamps to get McDonalds.”
("si j'étais présidente, j'obligerais Les Restos du Coeur à servir du McDo")

“Ever since I took that etiquette class, all I wanna do now is white people activities.”
("depuis que j'ai pris des cours d'étiquette, j'ai juste envie de faire des activités de blanc")

 “I got enough bras you ain’t gotta support me”

("J'ai pas besoin que tu me soutiennes: j'ai assez de soutiens (gorge). Merci!")

 "Same lips that be talking bout me, be the same lips that's ass kissing"

("les mêmes bouches qui parlent sur mon cul, sont celles qui le lèchent")
(bien vrai.)

 "Stop thinking these nikkas only want your pussy...they also want your money too !!"

("ne va pas croire que les mecs n'en ont qu'après ton ton cul. Non, non. Ils en ont aussi après ta thune, meuf!")
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Et davantage encore sur le compte Twitter de Cardi B.

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